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Les « hôtels à insectes » sont à la mode …

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MP – Ces derniers temps, on voit fleurir sur les réseaux sociaux ou sur des médias, des prises de position contre les hôtels à insectes, arguant notamment que la démarche serait contreproductive, voire dangereuse pour la biodiversité. Je me demandais ce que cela vous inspire, à vous, Arnaud Vincent, le fondateur d’InsectsHotel, promoteur de cette approche depuis de nombreuses années ?

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AV – Comme vous vous en doutez, je ne partage pas vraiment cette opinion. Comment le dire en termes mesurés et nuancés ? Ce propos est consternant. Il est inexact, tant d’un point de vue éthique, que pratique, que sur les considérations de son impact biologique. Il est le fruit de raisonnements simplistes et d’observations insuffisantes. Au fond, il ressemble à notre époque. Fakenews, fruit d’une grande arrogance pour asséner une opinion sur un sujet dont on ignore presque tout.
 
– Ah, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il y a débat ! Mais encore ? Déjà comment peut-on être faux d’un point de vue éthique ?
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– La première incompréhension est de prendre un hôtel à insectes pour une ruche, pour un élevage d’abeilles solitaires ou sauvages. La démarche n’a jamais prétendu vouloir fonctionner dans cette logique. L’initiative part du constat suivant. Nos jardins modernes sont trop uniformes. Gazons, terrasses bétonnées, allées goudronnées. La diversité des milieux est pauvre, donc la diversité du vivant est pauvre. Un hôtel à insectes, c’est à l’échelle des arthropodes, offrir un modeste îlot de milieux distincts. Les jardins de nos ancêtres n’étaient pas tondus comme de la moquette. Des tas de bois, tas de fumier, tas de compost et autres denses haies offraient une diversité de refuges et donc autant de nichoirs potentiels à des espèces très diverses. L’hôtel à insectes prétend rétablir modestement une sorte d’oasis miniature.
 
 – Et ensuite ?
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– Ensuite, s’installeront qui voudront. À eux de mener leur vie. Shakespearienne ! Sauvage ! Pleine de drames certes ! Et même si les prédateurs d’insectes profitent d’une prétendue opportunité, tant mieux ! Ces derniers font partie de la diversité et confirment donc le bien fondé de la démarche. Car eux aussi, ont le droit de continuer à exister. Tous les prédateurs d’insectes (et ils sont nombreux, poissons d’eau douce, oiseaux, amphibiens, arachnides, reptiles, etc.) s’effondrent au moins aussi vite que leurs proies… C’est-à-dire de l’ordre de -70% en 50 ans. Les amphibiens c’est même pire. 
 
 – D’après vous, cela relève donc plus d’une mauvaise appréciation de son objectif et de son usage que d’une erreur éthique non ?
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 – C’est un fourvoiement éthique, en ce sens que discréditer les hôtels à insectes, c’est nier la dynamique d’une démarche concrète qui s’accompagne de nombreux autres gestes vertueux, comme planter des fleurs ou arrêter logiquement l’usage des insecticides. De plus, c’est une erreur éthique tragique car l’hôtel à insectes est un support pédagogique qui permet d’initier les enfants (et parfois les plus grands) aux merveilles du vivant. Pour beaucoup, installer un hôtel à insecte a été le premier doigt dans l’engrenage d’une nouvelle conscience écologique.
 
 – Ok pour l’éthique, mais concrètement, que répondez-vous, à ceux qui considèrent que cette concentration d’espèces qui n’ont – je cite – « rien à faire ensemble est beaucoup trop importante et qu’ils s’entretuent » ?
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– Je vais vous dire : nous sommes d’une génération qui n’a aucune idée de ce que devrait être une densité normale d’insectes. Dans mon enfance, et je ne suis pas si vieux (note : né en 1973), nous ramassions des cadavres de mouches à la pelle au pied des fenêtres de nos maisons. À travers champs, les sauterelles jaillissaient sous nos pas. Les guêpes accompagnaient chacun de nos barbecues. Et le ciel était rempli de nuées d’oiseaux. Le pire, c’est qu’après avoir lu pas mal de littérature scientifique sur la faune, j’ai réalisé, que ce que j’observais enfant n’était rien par rapport à ce que mes grands parents observaient dans leur propre enfance. Ainsi de suite, générations après générations. L’effondrement du vivant sauvage a commencé avec la Révolution industrielle, même s’il s’est surtout accéléré après la seconde guerre mondiale. Cela s’apparente à la métaphore de la grenouille qui se laisse cuire vivante si on augmente la température de la marmite progressivement alors qu’elle s’échapperait si on la plongeait directement dans une température de cuisson… L’humanité ne réagit pas à l’effondrement du vivant car ce dernier se déroule, (ou plutôt se déroulait) sur plus d’une vie d’homme. C’est pourquoi, asséner que « la concentration d’insectes est trop forte en 2021 », où que ce soit, me parait ridicule, d’autant que la plupart des insectes sont adaptés à la promiscuité, à « grouiller »…
 
 – Mais que répondez-vous concrètement à ceux qui disent que les insectes sont trop concentrés dans les hôtels à insectes, de nos jours, en 2021 ?
 
 – « InsectsHotel » a accompagné depuis dix ans, des dizaines de milliers d’installations d’hôtels à insectes. Je précise « accompagné » et non « vendu », car la plupart des hôtels sont bricolés avec des matériaux de récupération. Je ne peux pas rentrer dans le détail dans une interview, mais tout observateur au long court d’un hôtel a pu constater que la majorité de nos refuges accueillent surtout quelques espèces d’abeilles solitaires, celles de la famille des osmies, mégachiles, hériades, isodontes, xilocopes. Toutes ces abeilles se nourrissent de nectar, de pollen (excepté l’isodonte qui capture des sauterelles pour s’en servir de support de ponte et dont le corps servira de nourriture à la nymphe). Les espèces accueillies ne naissent pas, ne pondent pas à la même période, ne pollenisent pas les mêmes fleurs, ne fécondent donc pas les mêmes espèces. Scoop : la nature est bien faite ! Alors certes, c’est la vie, il arrive des drames. Sous la forme de parasites, de prédateurs, de maladies, d’accidents. Vouloir préserver le vivant sauvage n’implique pas de raisonner émotionnellement et de penser comme un bisounours. C’est laisser une chance de vivre qui compte. Des réserves naturelles, des parcs d’État ont installé des hôtels à insectes, accompagnés par des scientifiques curieux et bienveillants. Le constat est sans appel : « la démarche est vertueuse ou dans le pire des cas, inutile ».
 
 – Mais vos adversaires disent que 80% des abeilles solitaires nichent dans le sol, la terre, le sable. C’est faux ?
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 – Même moins. En France métropolitaine, nous avons environ 1000 espèces d’abeilles sauvages et seule une trentaine d’espèces colonisent les hôtels à insectes. Mais… et alors ? En quoi est-ce un problème ? Celles qui nichent dans la terre ou le sable peuvent continuer à le faire que je sache ?
 
 – Et l’argument qui avance le fait que ca ne sert à rien de les loger, s’ils n’ont pas de nourriture ? Qu’ils mourront de faim. Ce qui est la cas en milieu urbain non ? 
 
 – C’est méconnaitre les comportements des insectes. Les insectes se déplacent tout simplement où ils trouvent de la nourriture. Si la nourriture est trop éloignée, votre hôtel restera vide, voilà tout. Les années suivantes la relation entre densité végétale et densité des insectes pollinisateurs est liée. Un arbre ou un parterre de fleurs butinés sont beaucoup plus prolifiques les années suivantes. Tout commes les fruits d’ailleurs. Pour finir, rien n’interdit d’accompagner le geste d’installer un hôtel à insectes, en plantant des fleurs, voire des arbres. C’est un faux procès.
 
  – Mais alors quel est l’intérêt des personnes qui décrient vos hôtels à insectes ?
 
 – Toute démarche écologique a ses détracteurs. L’écologie elle-même est raillée. Le réchauffement a ses sceptiques. Considérer les animaux comme des êtres sensibles fait ricaner. L’effondrement des poissons, des coraux est contredit. L’évidence est ignorée. Alors pour tout dire, j’ignore les motivations de ces esprits chagrins, si ce n’est de pouvoir exister, se distinguer. Installer un hôtel à insectes est devenu répandu, voire populaire. J’ose croire qu’InsectsHotel apporte sa pierre à cette démarche vertueuse. Comme nous combattons beaucoup d’autres intérêts…
 
 – Ah bon lesquels ?
 
 – Par exemple : les excès de la chasse, les animaux sauvages dans les cirques, les jets de mégots dans la nature, le packaging excessif, etc. Du coup, nous sommes confrontés à tout un tas de haters. Vu de leur paroisse, il convient de « calmer les écolos, les bobos et leurs lubies», de tenter de discréditer leurs combats comme ils ont discrédité pendant quarante ans « l’origine humaine du réchauffement climatique ». Salissez, il en restera toujours quelque chose ! Auprès des non-initiés, cela peut hélas fatalement créer un doute. Regardez, à cet instant, j’utilise mon temps à répondre à ces ragots, alors qu’il y a tant d’autres combats urgents à mener… 
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