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La pandémie de grippe russe de 1890-1894 était-elle due au coronavirus OC43 ? 

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Moins connue et moins étudiée que la bien plus brutale pandémie de « grippe espagnole » de 1918, celle de « grippe russe » n’en est pas moins intéressante. Par de nombreux aspects, y compris médiatiques, l’étude de cette pandémie historique, la première de l’ère des chemins de fer, peut nous apprendre des choses sur celle de la COVID-19 et, en particulier, sur le fait que, 130 ans plus tard, peu de choses ont changé dans la manière dont les sociétés et les médias se comportent face à l’irruption d’une nouvelle maladie infectieuse.
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Nous vous proposons un voyage dans le temps qui, nous l’espérons, vous permettra de relativiser un peu ce dont nous faisons la douloureuse expérience aujourd’hui.

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La grippe russe pourrait avoir émergé dès 1888 dans la ville de Boukhara (en Ouzbékistan). Mais la première flambée importante a lieu dans la ville de Saint-Pétersbourg en novembre 1889. À partir de cette date, la maladie va déferler sur le monde à un rythme extrêmement rapide : en six semaines, elle a envahi l’Europe occidentale, début janvier 1890 une flambée est observée à New York (provoquant 1 200 décès en une semaine !) avant d’envahir les États-Unis. L’Australie et la Nouvelle-Zélande sont également touchées en janvier 1890.

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Elle explose là où elle arrive, mais disparaît en quelques semaines (en général moins de 3 mois). À Londres, un pneumologue, Samuel West, décrit comment il est arrivé un matin à sa consultation où l’attendaient plus de 1 000 patients, en large majorité des hommes, demandant un traitement ! Pourtant, tout semble fini au printemps 1890. 

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Des vagues épidémiques vont continuer à être observées pendant 4 ans : au printemps 1891, l’hiver 1891-1892, l’hiver 1893-1894, voire au printemps 1895. Ces vagues ne sont pas uniformément ressenties. Par exemple, en Europe, le Danemark et le Royaume-Uni sont particulièrement affectés par ces vagues successives (avec des deuxième et troisième vagues plus létales que la première), sans dissémination massive aux autres pays européens dans lesquels la morbidité et la mortalité restent faibles.

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Selon H. Franklin Parsons, du Département médical de la ville de Londres : « Alors que le démarrage de la première vague a été soudain, avec des pics de mortalité dès la troisième semaine (18 janvier 1890) d’une épidémie qui en dura six, la mortalité a ensuite rapidement diminué. En contraste, le démarrage de la deuxième vague, en mai et juin 1891, a été plus progressif, s’étalant sur une durée de 8 semaines à Londres, mais cette vague s’avéra finalement plus létale. » Des mots qui résonnent aujourd’hui.

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Des cas sporadiques semblent avoir été constatés à Paris jusqu’en 1906 (sans confirmation virologique, bien sûr, le premier virus humain sera décrit au début du XXe siècle, mais en lien avec sa clinique particulière).

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Une pandémie qui prend le train et signe la fin de l’hypothèse miasmatique
Sur le plan de l’épidémiologie, la grippe russe va conclure une bataille scientifique quasi centenaire entre les tenants de la transmission miasmatique des infections respiratoires (portées par les vents et les rivières) et ceux de la transmission interindividuelle. En Europe, la dissémination de la maladie suit rigoureusement le trajet des 200 000 km de voies de chemin de fer qui ont été récemment développées et elle avance à la vitesse des trains. Il en résulte une pandémie quasi uniquement urbaine, les capitales et les ports étant les premiers touchés dans chaque pays, rapidement suivis par les grandes villes de province. Les campagnes restent globalement indemnes.

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De plus, une étude épidémiologique menée en France montre que, chez le personnel des chemins de fer, le taux d’infection est de 45 % chez les personnes en charge de l’exploitation (contacts avec les voyageurs), de 35 % chez celles chargées de la « traction » (conducteurs, mécanos, etc.) et de 9 % chez les agents entretenant les voies. La transmission entre personnes est rapidement admise par la communauté scientifique pour cette pandémie, qui, selon le Dr Gustave André (1856-1927), « marche contre le vent et l’eau », mais également pour les autres infections respiratoires saisonnières.

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Hiver 1889-1890 : la France s’arrête
En France, la « grippe russe » est d’abord observée chez le personnel des Grands Magasins du Louvre, à Paris, avec 670 des 3 900 employés touchés dans la seule semaine du 26 novembre 1889 ! Rapidement, l’infection progresse dans la capitale et, début décembre, un tiers des lits hospitaliers sont occupés par des victimes de la maladie. Noël 1889 est marqué par la saturation des hôpitaux et l’érection en urgence de baraquements dans les cours des hôpitaux et des casernes, où les malades sont placés alors que la température extérieure affiche – 8°C ! Le pic de cas survient autour du 28 décembre avec 180 000 personnes touchées simultanément à Paris (pour 2,5 millions d’habitants). La mortalité dans cette ville sera estimée à 62 ‰.

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La première semaine de janvier 1890, la grippe russe est dans toutes les principales villes françaises. Les écoles, collèges, lycées et universités sont fermés. La quasi-totalité des médecins hospitaliers parisiens sont infectés. La fréquentation des commerces de bouche s’effondre. Les services postaux sont dans l’incapacité de distribuer les cartes de bonne année, l’armée est réquisitionnée pour cette mission, malgré le très grand nombre de soldats malades. Émile Loubet, le président de la République, et une majorité de ministres sont, eux aussi, malades.

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Les personnels des pompes funèbres sont débordés avec 400 à 500 décès chaque jour dans la capitale et demandent la simplification des rites funéraires religieux pour tenir le rythme. Entre décembre 1889 et fin février 1890, la mortalité parisienne augmente de 30 % par rapport à l’hiver précédent. Et pourtant, fin février 1890, le calme revient soudainement dans la capitale.

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Des symptômes particuliers qui interrogent les médecins
Sur le plan clinique, la grippe russe est une infection respiratoire assez classique avec fièvre parfois élevée, maux de tête, douleurs musculaires, toux, fatigue et, dans les cas sévères, dyspnée et insuffisance cardio-respiratoire. Les personnes souffrant de maladies chroniques sont rapidement identifiées comme plus enclines à développer des formes graves. Pourtant, certains médecins de l'époque notent des particularités « insolites, non vues, déconcertantes pour le praticien » :
  • une maladie plus contagieuse que la grippe, en particulier au sein des familles ;
  • des doigts gonflés au début de la maladie (probablement des vascularites) ;
  • des atteintes sévères plus fréquentes chez les hommes ;
  • des atteintes rénales et digestives plus fréquentes ;
  • une mortalité particulièrement élevée chez les personnes âgées (mais les plus jeunes ne sont pas complètement épargnés) ;
  • des récidives rapides chez environ 15 % des patients (dont le Tsar de Russie…), parfois 3 fois, le premier événement étant le plus sévère.

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Mais ce qui frappe surtout les médecins, dans tous les pays occidentaux, est la fréquence anormalement élevée (pour une grippe) de manifestations neurologiques : névralgie faciale, algies diverses, « névrose du nerf pneumogastrique » (alternances de tachy/bradycardie), « troubles bulbaires », « troubles des nerfs périphériques et de la moelle », asthénie profonde et durable…

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Dans une étude publiée en 2000, une équipe canadienne a recherché l’ARN d’OC43 dans des échantillons de cerveau recueillis post-mortem chez des personnes souffrant de sclérose en plaques. Des traces d’ARN d’OC43 ont été identifiées dans 23 % des échantillons. La fréquence de traces d’OC43 était significativement plus élevée dans les échantillons issus de personnes atteintes de SEP. « Les coronavirus humains peuvent infecter les astrocytes et la microglie. Ainsi, des preuves s’accumulent, suggérant (…) que ces virus peuvent être neurotropiques, neuro-invasifs et neurovirulents chez l’homme (…). De manière intéressante, les infections respiratoires virales sont connues pour leur capacité à déclencher des poussées de SEP. De plus, le calendrier saisonnier des infections à coronavirus épouse celui des exacerbations de la SEP. »

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Ce qui amène le Pr. Pierre Potain (1825-1901, connu pour ses travaux sur la pression artérielle) à déclarer, fin janvier 1890, qu’il ne s’agit pas d’une grippe !

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Bien sûr, la pandémie de grippe russe est l’occasion de faire sortir les charlatans du bois : Un traitement particulier développé contre la « grippe russe » reste célèbre dans la jurisprudence britannique : la Carbolic Smoke Ball (boule de fumée carbolique), un inhalateur de poudre de phénol à l’effet préventif garanti par le fabricant à hauteur de £100 (voir illustration de cet article). Une cliente, Mme Carlill, est néanmoins infectée et poursuit le fabricant qui refuse de payer la garantie. Elle obtient gain de cause dans une décision toujours citée aujourd’hui !

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En conclusion, il ne sera probablement jamais possible de prouver avec certitude qu’OC43 fut le responsable de la pandémie de « grippe russe », l’ARN étant peu stable, même dans des cadavres congelés depuis 130 ans dans le permafrost russe ou groenlandais.
Néanmoins, nous avons encore beaucoup à apprendre de cette pandémie, tant du point de vue biologique (SARS-CoV-2 deviendra-t-il un virus respiratoire commun et bénin dans quelques années ?), que du point de vue de la réaction des médias et de la société aux pandémies, et du point de vue épidémiologique, en particulier dans le domaine constamment en expansion de l’apparition de nouvelles épidémies à point de départ zoonotique.

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De même, que penser des symptômes neurologiques que risquent de provoquer les futurs vaccins qui ne vont pas tarder à nous être proposés ? N’allons-nous pas observer une épidémie de cas de Guillain-barré ou de SEP ?!

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D’après un article de Stéphane Korsia-Meffre, publié dans Vidal.fr

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Bibliographie :

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