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La « guerre des plantes » : une concurrence acharnée

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J’aimerais vous parler d’un livre, La Vie sociale des plantes du regretté Pr Jean-Marie PELT. Il y raconte comment les plantes ont conquis le monde, des fonds marins jusqu’au sommet des montagnes. Cela se lit comme un roman de guerre.

D’abord, les plantes se livrent une concurrence à couteau tiré pour occuper le terrain en disséminant le plus de graines possible dans le sol. Le petit mouron n’hésite pas à disséminer 10 800 000 graines dans 40 ares de terre arable. Le jonc peut éparpiller 60 millions de graines dans 40 ares de prairie de montagne.

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Certaines de ces graines parviennent à germer, à s’enraciner, mais la sélection est impitoyable. Dans une hêtraie non exploitée, il ne subsiste au bout de 120 ans qu’un seul hêtre sur 2 000 lors du peuplement initial. Demandez à un garde forestier : sur 1 million de hêtres âgés de 10 ans répartis sur un hectare, seuls 509 atteindront l’âge de 100 ans.

Mais ce n’est encore rien par rapport à la suaeda, une plante grasse caractéristique des vases salées littorales. Une zone marécageuse près de Montpellier s’est retrouvée entièrement colonisée de suaeda, à raison de 2 000 plantes par mètre carré au printemps. À la fin de l’automne, l’effectif était tombé à huit plantes seulement pour toute la surface du terrain.

Les statistiques de mortalité infantile, y compris durant les pires famines, font donc pâle figure à côté du déchaînement exterminateur dont sont victimes les plantes.

C’est qu’elles se livrent une concurrence acharnée pour l’accès au soleil, aux nutriments et à l’eau. Dans les plantations d’épicéas, les arbres cherchent tous à pousser le plus vite possible pour étendre leurs rameaux au-dessus de ceux des autres, et être ainsi les premiers à capter les rayons du soleil. Ils font tant et si bien que 99 % de la lumière solaire est captée avant de toucher le sol, ne laissant à leurs pieds que des miettes. Seuls quelques mousses et champignons parviendront à y pousser malgré tout.

Le phénomène est le même dans les forêts tropicales, où des arbres plus immenses les uns que les autres forment une voûte végétale que l’on appelle « la canopée ». Tous les moyens et les petits qui abandonnent la compétition en route sont condamnés à végéter dans une quasi-obscurité, même quand le soleil est au zénith.

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Plantes envahisseuses

De nombreuses espèces de plantes méritent d’être qualifiées d’« envahisseuses ». Introduites dans un nouveau milieu, elles sont capables de le coloniser à une grande vitesse en anéantissant toutes les autres espèces sur leur passage.

Ainsi une fougère, la Salvinia auriculata, fut-elle introduite par accident en 1959 sur le lac Kariba en Afrique. Un an plus tard, elle recouvrait déjà 199 km2 d’eau, réduisant à néant toutes les algues et poissons vivant dans la zone. Mais quatre ans plus tard, elle recouvrait 1002 km2 d’eau.

Nous connaissons, en Europe, le problème de l’envahissement par l’élodée du Canada, qui forme de véritables prairies au fond des canaux et des rivières. Observée pour la première fois en Irlande en 1834, elle avait déjà franchi – on ne sait comment – la mer pour atteindre la Grande-Bretagne dès 1836, puis le continent en 1859.

Nous avons aussi les célèbres lentilles d’eau, qui recouvrent des surfaces parfois considérables, et l’azola filicoïde, qui apparaît et se développe de façon foudroyante à la surface des étangs. L’azola disparaît d’elle-même au bout de deux ou trois ans quand elle a consommé toutes les ressources minérales nécessaires à sa prolifération.

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Sous terre, l’enfer

Jean-Marie Pelt nous apprend que ce phénomène de compétition est plus brutal encore sous terre. Lorsqu’on creuse quelques dizaines de mètres carrés dans une forêt, on s’aperçoit que :

« Les individus puissants et conquérants couvrent littéralement de leurs racines l’enracinement chétif des individus médiocres et souffreteux. Quant aux individus déjà morts, leurs racines ne sont plus qu’une chevelure diffuse en voie de pourrissement. La compétition s’exprime ici dans toute sa pureté et toute sa cruauté. Elle révèle l’inégalité profonde de la nature, la dure domination des plus forts sur les plus faibles, l’élimination des moins nantis et des moins chanceux. » (page 153)

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Pollution

Certaines plantes sont capables de polluer le terrain où elles poussent, au point de s’empoisonner elles-mêmes.

C’est le cas de la piloselle dans nos jardins. Elle forme d’abord des îlots de population, qui s’accroissent en détruisant les plantes alentour grâce aux poisons qu’elle produit.

Mais observez plus attentivement et vous vous apercevrez que les individus au centre de l’îlot se mettent à dépérir. Bientôt la terre est à nu. Tant que la pluie n’aura pas délavé la zone pour en chasser les toxines, aucune plante ne repoussera à cet endroit. Il s’agit d’un authentique herbicide.

Les piloselles continuent donc à se développer en cercles concentriques. Il faut de fortes pluies, qui délavent la terre, pour qu’enfin les graines tombées sur la zone au centre parviennent à nouveau à germer.

Cette capacité d’intoxiquer les autres plantes a un nom : l’allélopathie.

Les substances allélopathiques sont des corps chimiques libérés par une plante. Ils peuvent être disséminés par ses racines, par l’émission d’essences volatiles, par le lessivage des feuilles par la pluie ou par ses détritus qui empêchent les autres plantes de germer ou de croître.

Guerre chimique

Les paysans d’autrefois avaient bien remarqué que certaines plantes faisaient le vide autour d’elles : ils savaient que le chardon nuisait à l’avoine, l’euphorbe au lin et l’ivraie au froment. Ils se hâtaient de les arracher dès qu’ils les voyaient apparaître à proximité.

C’est que, bien avant l’invention des armes chimiques, les plantes avaient découvert la capacité de certaines molécules à nuire à leur entourage, et elles les exploitaient à fond !

Jean-Marie Pelt raconte pléthore d’anecdotes à ce sujet :

« Un curieux décret de Napoléon III dit que, pour chaque noyer planté, l’État s’engageait à construire ces sortes de tas de pierres d’environ un mètre cinquante de hauteur que l’on n’aperçoit plus guère aujourd’hui dans les champs, mais qui permettaient jadis aux paysans de déposer les sacs qu’ils portaient sur le dos, afin de pouvoir se reposer quelques instants. C’est qu’en effet, les paysans n’aimaient plus les noyers et n’en plantaient pas. Ils avaient constaté que ces arbres gênaient la croissance de la luzerne, des tomates, des pommes de terre, des graminées, des pommiers, etc. »

On connaît aujourd’hui la substance chimique toxique produite par le noyer. Il s’agit de la juglone, une molécule qui existe dans tous ses tissus. Lorsqu’elle tombe sur le sol (via les feuilles, les bogues, les noix…), elle s’oxyde et une dose infime de 10 parties par million suffit à détruire 50 % des semis de tomates. Elle attaque même les bactéries et champignons.

« Ainsi, les observations de Pline l’Ancien, qui attribuait au noyer la propriété de tuer les plantes qu’il recouvre de son ombre, étaient-elles parfaitement justifiées », conclut Jean-Marie Pelt.

De même, les aiguilles de pin émettent des leucoanthocyanes qui empêchent la germination des autres plantes, en particulier celle du blé. Les leucoanthocyanes agissent en perturbant le mécanisme d’action des hormones de croissance qui déterminent la division et l’élongation cellulaire des végétaux. Ils empêchent les boutures de peuplier de former des racines.

Ce n’est donc pas seulement le manque de lumière qui explique qu’il y ait si peu de végétaux sur le sol dans les forêts de pins, de sapins ou d’épicéas.

Les eucalyptus ont la même propriété. Dans les forêts artificielles d’eucalyptus en Italie, Espagne, Portugal et Afrique du Nord, on se promène sans être arrêté par les ronces ni devoir enjamber le moindre buisson. Il n’y a, en général, même pas d’herbes sur le sol, alors que l’eucalyptus laisse passer beaucoup de lumière, ses feuilles étant disposées à la verticale. Dans leur environnement naturel en Australie, les eucalyptus coexistent avec des espèces adaptées à l’environnement chimique. Transplantés en Afrique ou en Europe sans ce cortège d’espèces compagnes, ils reconstituent des environnements très pauvres en autres végétaux et désertifient le sol.

Le châtaignier et le marronnier ont des effets semblables.

Stérilisation massive

Passons rapidement sur les antibiotiques, ces produits fabriqués par des champignons et des bactéries pour se défendre contre les autres bactéries, et dont nous nous servons nous-mêmes aujourd’hui à tour de bras. Ces cas sont trop connus, comme celui du champignon pénicillium qui fabrique la pénicilline qui tue les streptocoques.

Nous nous servons dans nos huiles essentielles et notre vin rouge des polyphénols pour lutter contre l’inflammation et les infections. Vous ne serez pas surpris d’apprendre qu’ils ont le même effet stérilisant sur la flore microbienne du sol qui les entoure.

Les plantes qui fabriquent beaucoup de phénols sont capables d’empêcher les graines de germer : les graines des autres, bien sûr, mais certaines plantes comme la busserole fabriquent tant de phénols que leurs propres graines n’arrivent plus à germer non plus !

Il faut le passage d’un incendie pour brûler tous ces phénols qui imbibent le sol et les racines. On s’en est aperçu en Californie, où des zones où poussent la sauge, l’armoise et le chaparal (une espèce locale de busserole) finissent par vieillir et dépérir. Les graines tombent sur le sol et pourrissent sans germer. Mais lorsque le chaparal brûle, on assiste à une brusque flambée de germinations, puis de floraisons d’herbes annuelles.

Le phénomène est semblable pour le guayule, une plante mexicaine qui produit un caoutchouc semblable à l’hévéa. Des firmes mexicaines et américaines ont essayé de le cultiver à grande échelle. Dans leur habitat naturel quasi désertique, les arbrisseaux sont régulièrement espacés, chacun ayant son propre territoire. Mais dans les champs cultivés, un phénomène étrange est apparu : les plantes au centre des cultures restaient chétives, seules celles de la périphérie parvenaient à s’épanouir. En fait, leurs racines émettent d’importantes quantités d’acide transcinnamique, qui agit autant sur les autres plantes que sur les guayules elles-mêmes.

Ce phénomène d’autotoxicité est commun en Europe aussi : il s’observe chez les violettes et les crocus. Les arboriculteurs savent qu’on ne replante jamais un pêcher ni un poirier au même endroit, en ajoutant simplement du fumier. Il faut aussi changer la terre qui est imbibée d’exsudats racinaires toxiques.

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Note positive

Il serait injuste de nous arrêter à cette vision belliqueuse de la nature. Car, évidemment, les plantes sont, comme les hommes, autant capables de faire l’amour que la guerre, de jouer la coopération que la compétition.

L’ail sécrète une substance chimique qui détruit les jeunes plantules de chicorée. Ail et chicorée ne peuvent donc pousser l’un à côté de l’autre. Mais ajoutez-y des pâquerettes, et tout s’arrange. En effet, la pâquerette émet un contrepoison qui neutralise les poisons sulfurés de l’ail. En présence de pâquerettes, vous pouvez donc cultiver l’ail et la chicorée ensemble !

On sait que le maïs pousse mieux en présence de haricots, à qui il peut servir de tuteur lorsque ceux-ci sont grimpants. Le persil apprécie particulièrement d’être semé le long d’une rangée de carottes. Les pois et les fraisiers se plaisent en présence de pommes de terre. Le géranium herbe-à-Robert aime le thym et le serpolet, avec qui il adore s’entremêler. L’eucalyptus, dont nous avons vu les fortes capacités allélopathiques, se trouve être le grand ami du cassis, qui peut doubler de taille à son ombre.

Dans mon jardin, je plante de la moutarde comme la plupart des jardiniers d’Europe : nous appelons cela « l’engrais vert », car la moutarde augmente le rendement de la plupart des cultures, sans que nous sachions pourquoi…

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