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La « médecine des preuves »

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Jusqu’au milieu du 20ème siècle, la vérité médicale était celle qui sortait de la bouche des « maîtres ». La résolution d’un problème clinique et la décision thérapeutique afférente étaient fondées sur des savoirs physiopathologiques et une certaine expérience clinique, qui pouvait varier selon les universités, les pays (ainsi, depuis le moyen-âge, les étudiants en médecine avait pour pratique de faire une sorte de tour d’Europe pour comparer les usages des différents hôpitaux visités). Née dans les années 1980, au Canada, l’Evidence Based Medicine (EBM) est un changement de paradigme imposé par l’apparition en médecine des essais contrôlés, puis des méta-analyses. Dans cette approche, la décision médicale n’est plus fondée sur l’avis d’un expert, mais sur l’utilisation de données « objectives » fournies par des essais cliniques de méthodologie convenable.

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C’est une démarche explicite de recherche, d’évaluation et d’utilisation des meilleures preuves récentes disponibles pour résoudre un problème clinique précis. Classiquement, elle suit quatre étapes :

  1. formulation du problème médical posé de façon claire et précise,
  2. recherche dans la littérature et sélection des articles les plus pertinents se rapportant à la question posée,
  3. évaluation de la validité et de l’applicabilité des conclusions pratiques des articles,
  4. intégration des conclusions retenues pour répondre à la question principale.

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L’EBM à trouvé, dès les années 1990, de multiples applications dans la rationalisation de la prise en charge médicalisée : quel type de patient pouvait bénéficier d’un traitement ?, quels en sont les bénéfices et les risques (1) ?. C’est dans le champ cardio-vasculaire que les travaux ont été les plus nombreux. L’arrivée des bêtabloquants dans le post-infarctus et des inhibiteurs de l’enzyme de conversion dans l’insuffisance cardiaque, la démonstration du bénéfice d’un traitement anti-HTA dans la réduction des AVC et la prévention de l’infarctus du myocarde, les promesses des hypolipémiants (?!) : voici ce que l’EBM a apporté dans le cadre des essais cliniques comparatifs, en double aveugle avec leurs méta-analyses. 

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« L’EBM concentre tous les biais de l’industrialisation du savoir, en disqualifiant toute opportunité de nouveauté ! » dr. L. Fouche, med. anesthésiste à l’IHU-Marseille.

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Même chez les classiques, les critiques n’ont pas manqué. Celles-ci mettent l’accent sur les limites intrinsèques de ses éléments de base, à savoir la qualité des études cliniques (divers biais, sélection des populations …) et des méta analyses (bien-fondé des regroupements d’études, pertinence clinique des résultats …). Aujourd’hui, les études cliniques sont devenues géantes. Comme l’efficacité thérapeutique n’est plus jugée par rapport à un placebo, mais par comparaison à un traitement de référence (donc, les différences sont bien plus faibles), ceci exige des effectifs de plus en plus importants et donc de grandes études multicentriques d’homogénéité parfois douteuse !

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L’étude ALLHAT, méga essai qui incluait plus de 40 000 patients, en est un exemple. Son effectif était tel que, statistiquement, elle pesait d’un poids énorme sur toute méta analyse. Mais elle soulève des critiques considérables (choix méthodologique, stratégie d’association, respect des groupes, interprétation des résultats …). Alors que cette étude plaide en faveur de l’usage d’un thiazidique, l’étude LIFE, sur le même sujet, a mis en avant les avantages d’un Sartan, et que pour l’étude ANBP2, parue presque simultanément à ALLHAT, c’est un IEC qui remporte la palme ! Ces résultats sont pour le moins déroutants, d’autant que la méta-analyse, considérée comme le « gold standard » ne résout pas les problèmes méthodologiques posés par ces grandes études aux résultats discordants.

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La dictature statisticienne de ces méta-analyses nous est à présent opposée comme une vérité absolue, sur laquelle tous les médecins devraient fonder leur choix thérapeutique. Or, il est indispensable d’en faire d’abord une analyse critique, car la qualité d’un édifice repose sur celle de ses matériaux.

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Nous, qui avons une vision un peu décalée des habitudes du monde médical, ne sommes pas dupes de la vision réductionniste que les grands laboratoires veulent nous imposer. Les facteurs intervenant dans l’état de santé des gens sont multiples : environnement social, familial, contraintes psychoaffectives diverses, habitudes alimentaires, équilibre dynamique des métabolismes organiques, antécédents immunitaires … Tout ceci réduit à un diagnostic nosologique et à l’action comparée de deux ou trois molécules ! On imagine sans peine à qui profite la falsification. Pire que tout, cette approche « basée sur les faits », qui s’avère lourde et coûteuse, exclue en pratique la théorisation des problèmes (ce qui est la caractéristique limitante de ces approches « bottom-up »). Nous lui préférons les approches systémiques (« top-down »), qui s’appuient sur l’étude théorisée des interactions des différents niveaux de régulation et se vérifient par des études de cas.

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Dans un article récent (3), les auteurs développent les avantages que pourraient apporter les « médecines intégrées » au système d’évaluation médical américain. Ils donnent comme exemple de biais des études en double aveugle, celui qui consiste à la sélection de patients sur un diagnostic insuffisamment précis. Si celui-ci est assez vague, par exemple « angine érythémato-pultacée », l’utilisation d’un antibiotique se révèlera décevante (car les 2/3 de celles-ci sont virales et de plus le spectre d’action de l’antibiotique étudié ne convient pas forcément à celles qui sont bactériennes …), donc à peine plus efficace que le placebo, d’autant que l’antibiotique induira des phénomènes d’allergies et d’intolérance … La conclusion de cette étude « scientifique » pourrait être : « les antibiotiques ne sont pas efficaces dans l’angine !« 

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Pour y voir plus clair en médecine, que faut-il faire alors ?. Leurs propositions sont simples : étudier les propriétés émergeantes des systèmes complexes (car le tout est supérieur à la somme des parties) et pour ce faire, s’appuyer sur les études de cas (observational studies), qui se sont montrées parfois supérieures (2) à de larges études randomisées.

http://www.ted.com/talks/ben_goldacre_what_doctors_don_t_know_about_the_drugs_they_prescribe.html

« Any intelligent person can study medical literature and understand when or when not to use various treatments. What is so difficult, even for a skilled physician, is to apply this knowledge in individual cases. For those who know nothing about the fundamental of healing and treat it casually and talk a lot, nothing seems difficult. They don’t think there is any illness that requires careful deliberation. The common run of people thinks medicine can be learned quite easily, whereas it is really extremely difficult to master even for a conscientious physician » Maimonides (1135 – 1204).

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……………………………………………… Remarques :

Cet article a été écrit il y a une quinzaine d’années, quand était apparu sur mon bureau le petit livre intitulé « Références médicales opposables« , où était détaillé, pour chaque affection, les examens susceptibles d’être demandés, ainsi que les traitements à préconiser. A l’époque, je travaillais sur la mise au point de systèmes experts et, fort de cette petite expérience informatique, je comprenais déjà bien vers quoi on allait progressivement mener le corps médical !

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L’EBM apparait à présent comme une sorte « d’horizon intellectuel indépassable » et tout ce qui ne rentre pas dans ces « bonnes pratiques » (Guide lines) devient suspect et rapidement disqualifié ! Dès que j’évoque le mot homéopathie, la quasi-totalité des jeunes confrères – sans rien connaitre au sujet – m’oppose une méta-analyse de 160 articles qui démontrent que cela ne fonctionne pas !

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Lisez les deux articles joints écris par Kauffman et al. sur la complexité. Ils montrent en particulier que « la méthode en double aveugle » est peu performante quand il y a plusieurs diagnostiques possibles. On le savait, mais ici c’est démontré rigoureusement.  Très important pour argumenter contre les soi-disants détenteurs de la vérité :

Searching the Clinical Fitness Landscape_Kauffman

Transforming Medicine_ A Manifesto _ worldVIEW_Kauffman

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………………………………………………. Le problème s’aggrave :

Pourra-t-on encore se renseigner, lire et discuter de santé sur internet ?

90 % des informations qui circulent sur Internet passent par Google et Facebook. Longtemps ces services sont restés neutres, laissant leurs utilisateurs librement consulter les sites. Les choses sont en train de changer dans le domaine de la santé. Google fait de plus en plus de sélection pour ne présenter que certaines informations de santé sur les premières pages : OMS (Organisation mondiale de la santé), Agence européenne du médicament (EFSA), FDA (agence fédérale américaine de la santé), Mayo Clinic (un centre hospitalier très prestigieux aux Etats-Unis).

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Quant à Facebook, c’est la même chose : il est de plus en plus difficile de partager avec vos amis les articles que vous souhaitez sur la santé. Ils ont fermé du jour au lendemain des pages de santé alternative, pourtant suivies par des millions de personnes. Ils ont annoncé ce mois-ci que les groupes « anti-vaccins » ne seraient plus trouvables sur leur moteur de recherche, sachant que vous êtes classé « anti-vaccination » dès que vous discutez l’intérêt d’un vaccin ou d’un adjuvant comme l’aluminium.

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Amazon a retiré de son catalogue de vidéos le film « Vaxxed », Youtube a démonétisé plusieurs vidéos connues sur ce thème. Même le site de partage d’images Pinterest a bloqué toutes les recherches liées aux problèmes de la vaccination !!

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Il y a cependant d’innombrables sites d’information sérieux qui font eux un excellent travail, même s’ils ne disent pas toujours exactement la même chose que l’OMS. La médecine est un terrain compliqué, en évolution permanente. Toute approche autoritaire et dogmatique doit être bannie, le débat et la confrontation des points de vue, encouragés.

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L’existence de certains « sites poubelles » sur la santé ne justifie pas que tous ces bons sites alternatifs soient écartés et disparaissent des moteurs de recherche, ou ne puissent plus se faire connaître sur Facebook. L’existence de personnes disant des choses stupides ou exagérées sur les risques liés à la vaccination ne justifie pas de bloquer l’accès à tout site informant d’accidents ou d’interrogations sur la vaccination.

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Le problème des organisations gouvernementales de santé, c’est qu’elles sont là pour donner des consignes générales. Qui dit généralisation, dit simplification. On établit des « politiques de santé publique », des « protocoles applicables », optimisés non pour convenir à tout le monde… mais au plus grand nombre. Ce qui est très différent.

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Ethique en médecine ?

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On fait des calculs « coûts/bénéfices » en partant du principe qu’il y aura toujours un « taux de déchet » incompressible. « On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs » pourrait être leur dicton, sauf que ces œufs qu’on casse sont des vies humaines.

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De plus, ces organismes obéissent à des logiques politiques, médiatiques. Ils sont obligés de répondre aux grands mouvements de panique qui s’emparent régulièrement de l’humanité, en montrant qu’ils sont capables de se « mobiliser », de « faire face », puisque c’est ce qu’on attend d’eux, même s’ils savent que leur mobilisation ne sert à rien (s’ils ne le faisaient pas, ils risqueraient de se voir privés des budgets qu’on leur alloue).

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Le résultat, c’est que leur agenda est déterminé par les gros titres des journaux, des slogans politiques, pas par les menaces réelles. Ils consacrent des sommes faramineuses à certaines maladies, en délaissant d’autres qui font pourtant des centaines ou des milliers de fois plus de victimes. Exemple : Ebola (20 000 morts en cinq ans) plutôt que la gastro-entérite (un million de morts chaque année) ; la rougeole (3 morts en France en 2018, dont au moins un cas de personne très immunodéprimée) contre l’asthme (1 000 décès chaque année) ; la grippe aviaire (zéro mort) plutôt que la tuberculose (1,8 million de morts par an, dont 190 000 de tuberculose résistante aux antibiotiques) !

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Néanmoins, je ne suis pas inquiet pour l’avenir. Après tout, une censure de Google et Facebook sur la « santé alternative » ne fera que nous faire revenir à la situation d’il y a quelques années, quand la plupart des gens avaient pour seul interlocuteur leur médecin de quartier. La vie était-elle impossible pour autant ? Non. Ceux qui voulaient savoir pouvaient savoir. Il y avait déjà de très nombreux livres, revues, colloques, salons, qui existaient. Bien sûr, ce n’était pas gratuit et aussi facile d’accès qu’Internet. Et il fallait en général payer un petit quelque chose. N’empêche. Je ne sais pourquoi, je repense souvent à cette époque avec tendresse. Ce n’était pas si terrible. Il y avait aussi, peut-être, une authenticité, une qualité humaine qui s’est un peu perdue.

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Certes, les remèdes étaient moins en pointe, les compléments alimentaires s’achetaient en vrac dans des sacs en papier. Et pourtant, je ne sais pourquoi, j’en garde de bons souvenirs. Tout ça pour dire que Google et Facebook peuvent faire ce qu’ils veulent. Si un jour nous ne pouvons plus exister sur Internet, nous nous retrouverons sur les marchés !

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Question au dr. Louis Fouché (médecin-anesthésiste réanimateur à l’AP-HM de Marseille) : Est-ce que vous pensez que l’Evidence Based Medecine (EBM) fait partie du problème?

 

Oui, effectivement. Il y a dix ans je suis allé à une conférence de sociologie du travail au Collège de France et un économiste de la santé était venu parler d’évaluation en santé, au nom de la Haute autorité de santé. Il a commencé son propos en disant: Nous (sous-entendu économistes de la santé) nous sommes là pour liquider le modèle artisanal de la médecine. Nous sommes là pour mettre en place un modèle industrialisé, évalué, rationalisé et rentable de production et de consommation de biens et de services de soins standardisés.

 

Donc le mandat des tutelles de santé aujourd’hui n’est pas de faire du sur-mesure entre chaque patient et chaque soignant, c’est de faire un système industriel de production et de consommation de masse. Un marché, et rentable s’il vous plait. A partir du moment où vous avez dit ça, ça veut dire que les outils de création du savoir eux-mêmes vont répondre aussi à cet impératif.

 

L’EBM est un outil industriel, rationalisé, évalué de production et de consommation du savoir médical standardisé. Mais comme tout processus industriel, il va toujours produire la même chose. A savoir une réponse sûrement très pertinente entre une chimio A et une chimio B dans un lymphome, mais incapable de fournir une réponse dans le cadre d’une épidémie. En sciences, ce sont toujours une minorité de gens, d’abord considérés comme des fous, puis comme des héros, qui sont parvenus à trouver des solutions différentes de ce qui semblait établi comme vérité.

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Question: Il semble également qu’il soit devenu difficile de se fier aux publications scientifiques?

 

Kamran Abassi, éditeur en chef d’une prestigieuse revue, le British Medical Journal, a écrit un bel éditorial sur le sujet: Covid 19: Politization, corruption, and suppression of science… Aujourd’hui, beaucoup de gens ne publient pas parce qu’ils veulent trouver de la science, mais parce que sinon ils meurent. Le fameux publish or perish. Sans s’en rendre compte, on ne publie pas tant pour ce qu’on va produire ou essayer de défricher de savoir, que pour faire toujours un peu plus de tout ce que vous avez déjà fait, dans le but de faire avancer sa carrière.

«L’industrie pharmaceutique est rodée à la fabrique de l’ignorance»

D’autre part, l’EBM est devenue d’une telle complexité techno-administrative que seules les très grosses structures, les CHU par exemple, ou les consortiums pharmaceutiques restent seuls capables de produire des études. Mais eux-mêmes sont sujets à ce qu’on appelle des conflits d’intérêts. Ceux-ci, dans l’histoire du Covid, sont absolument phénoménaux. Ils se comptent à plusieurs milliards d’euros. Il suffit de prendre en compte le marché du vaccin, du traitement précoce, du traitement tardif du Covid long… Bref, l’outil a été totalement frelaté par tant de conflits d’intérêts.

 

Le fait que l’industrie pharmaceutique passe son temps à injecter, dans la publication scientifique, des études bidons, frelatées et contradictoires n’est pas nouveau. Cela a été rapporté avec l’industrie du tabac, notamment. Celle-ci a réussi, pendant plus de 80 ans, à maintenir que le tabac n’était pas nocif, que même les femmes enceintes pouvaient fumer. Ça, c’est la fabrique de l’ignorance. Justement par l’EBM. C’est une pratique à laquelle l’industrie pharmaceutique est aujourd’hui extrêmement rodée, grâce au doute qu’elle sait faire naître.

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Ce qui est en train d’apparaître, c’est que l’Evidence Based Medecine se dérobe sous nos pieds. Elle n’est pas capable de dire la vérité de ce que serait un traitement efficace dans le Covid. Il faut revenir à la clinique; au lit du patient. D’ailleurs, il s’est passé quelque chose de très intéressant épistémologiquement pendant cette crise et qui avait déjà cours dans d’autres domaines: c’est la mutualisation de l’expérience empirique de terrain. Ce que je veux dire par là, c’est qu’Internet a permis de mettre en réseau énormément d’expériences diverses, un foisonnement de possibles qui vous donnent une petite image du réel. Pour moi, il s’agit d’un changement majeur. Car on va vers une médecine qui va ressembler à du peer reviewing citoyen globalisé.

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Article publié en 2011 (Steve Hickey & Hilary Roberts « Orthomolecular Medicine News Service », 7 décembre) :

Médecine fondée sur les preuves : ni de bonnes preuves ni une bonne médecine

Les auteurs analysent la référence actuelle en matière de décisions médicales et identifient les défauts qui rendent cette méthode de plus en plus impopulaire auprès des cliniciens.

La médecine fondée sur les preuves (EBM) consiste à traiter des patients individuellement en fonction des résultats d’essais médicaux de grande envergure. Elle est actuellement autoproclamée comme la référence absolue en matière de prise de décision médicale, et pourtant elle est de plus en plus impopulaire auprès des cliniciens. Leurs réserves reflètent une compréhension intuitive que quelque chose ne va pas dans sa méthodologie. Ils ont raison de penser cela, car l’EBM enfreint les lois de tant de disciplines qu’elle ne devrait même pas être considérée comme scientifique. En effet, du point de vue d’un patient rationnel, tout l’édifice s’effondre.

L’hypothèse selon laquelle la médecine factuelle est une science fiable est erronée dès le départ. La science de la décision et la cybernétique (science de la communication et du contrôle) mettent en évidence ses conséquences inquiétantes. La médecine factuelle favorise des traitements peu efficaces, basés sur des moyennes de population plutôt que sur les besoins individuels. Ses essais cliniques sont incapables de trouver les causes des maladies, même pour les chercheurs médicaux les plus diligents, et pourtant ils engloutissent les fonds de recherche. Pire encore, la médecine factuelle ne peut éviter d’exposer les patients à des risques pour la santé. Il est temps que les praticiens médicaux abandonnent l’étalon-or terni de la médecine factuelle, reprennent leur autonomie clinique et fournissent des traitements individualisés aux patients.

L’élément clé d’une médecine véritablement scientifique est le patient rationnel. Cela signifie que ceux qui décident d’un traitement baseront leur décision sur les risques et les bénéfices attendus du traitement pour la personne concernée. Si vous êtes malade, vous voulez un traitement qui vous conviendra, personnellement. Compte tenu des informations pertinentes, un patient rationnel choisira le traitement qui lui sera le plus bénéfique. Bien entendu, le patient n’est pas isolé mais travaille avec un médecin compétent, qui est là pour l’aider. L’unité de prise de décision rationnelle devient alors la collaboration médecin-patient.

L’idée d’une collaboration rationnelle entre le médecin et le patient est puissante. Elle prend principalement en compte les avantages du patient individuel. Cependant, les statistiques EBM ne sont pas efficaces pour aider les patients individuels. Elles concernent plutôt des groupes et des populations.

La pratique de la médecine

Personne n’aime les statistiques. Bon, c’est peut-être un peu fort, mais à part des exceptions évidentes (les statisticiens et les mathématiciens), beaucoup de gens ne se sentent pas à l’aise avec les données statistiques. Donc, si vous préférez passer cet article à un sujet plus agréable, attendez une minute. Car même si nous allons parler de statistiques, notre objectif ultime est de rendre la médecine plus simple à comprendre et plus utile à chaque patient.

L’approche actuelle de la médecine est « fondée sur des preuves ». Cela semble évident, mais en pratique, cela signifie s’appuyer sur quelques études à grande échelle et des techniques statistiques pour choisir le traitement de chaque patient. Les praticiens de la médecine fondée sur des preuves appellent à tort ce processus « fondé sur les meilleures preuves ». Afin de redonner aux médecins et aux patients le pouvoir de prendre des décisions, nous devons remettre en question cette orthodoxie, ce qui n’est pas une tâche facile. Souvenez-vous de Linus Pauling : bien qu’il fût un génie scientifique, il a été condamné simplement pour avoir suggéré que la vitamine C pouvait être un agent thérapeutique précieux.

Historiquement, les médecins, chirurgiens et scientifiques qui ont eu le courage d’aller à l’encontre des idées reçues ont produit des avancées médicales. Citons par exemple la théorie de la circulation sanguine de William Harvey (1628), qui a ouvert la voie aux techniques modernes telles que les machines de circulation extracorporelle ; la découverte par James Lind que le citron vert prévient le scorbut (1747) ; les travaux de John Snow sur la transmission du choléra (1849) ; et la découverte de la pénicilline par Alexander Fleming (1928). Aucun de ces innovateurs n’a utilisé la méthode EBM. Ils ont plutôt suivi la méthode scientifique, en utilisant de petites expériences répétables pour tester leurs idées. Malheureusement, les praticiens de la méthode EBM moderne ont abandonné la méthode expérimentale traditionnelle au profit de statistiques sur de grands groupes.

À quoi servent les statistiques démographiques ?

Au cours des vingt dernières années, les chercheurs en médecine ont mené des essais de plus en plus vastes. Il est courant de trouver des expériences avec des milliers de sujets, répartis dans plusieurs centres de recherche. Les chercheurs pensent probablement que leurs essais sont efficaces pour faire avancer la recherche médicale. Malheureusement, malgré le coût et les efforts qu’ils impliquent, ils n’aident pas les patients. Selon les principes fondamentaux de la science de la décision et de la cybernétique, les essais cliniques à grande échelle ne peuvent manquer d’être un gaspillage, de retarder le progrès médical et d’être inapplicables aux patients individuels.

La plupart des recherches médicales reposent sur des méthodes statistiques du début du XXe siècle, développées avant l’avènement des ordinateurs. Dans ces études, les statistiques servent à déterminer la probabilité que deux groupes de patients diffèrent l’un de l’autre. Si un groupe de traitement a pris un médicament et un groupe témoin non, les chercheurs demandent généralement si un bénéfice est dû au médicament ou est dû au hasard. Pour répondre à cette question, ils calculent la « signification statistique ». Ce processus aboutit à une valeur p : plus la valeur p est faible, moins le résultat est susceptible d’être dû au hasard. Ainsi, une valeur p de 0,05 signifie qu’un résultat aléatoire peut se produire environ une fois sur 20. Parfois, une valeur inférieure à une sur cent (p < 0,01), voire inférieure à une sur mille (p < 0,001) est rapportée. Ces deux valeurs p sont respectivement qualifiées de « hautement significatives » ou de « très hautement significatives ».

Significatif ne veut pas dire important

Il faut que les choses soient claires : dans le contexte des statistiques, le terme « significatif » n’a pas la même signification que dans le langage courant. Certains pensent que les résultats « significatifs » doivent être « importants » ou « pertinents ». C’est faux : le niveau de signification reflète uniquement le degré auquel les groupes sont considérés comme distincts. Il est essentiel de noter que le niveau de signification dépend non seulement de la différence entre les groupes étudiés, mais aussi de leur taille. Ainsi, à mesure que l’on augmente la taille des groupes, les résultats deviennent plus significatifs, même si l’effet peut être minime et sans importance.

Prenons deux populations de personnes, avec des tensions artérielles moyennes très légèrement différentes. Si nous prenons 10 personnes de chaque groupe, nous ne trouverons aucune différence significative entre les deux groupes, car un petit groupe varie par hasard. Si nous prenons 100 personnes de chaque population, nous obtenons un faible niveau de signification (p < 0,05), mais si nous en prenons 1 000, nous obtenons maintenant un résultat très hautement significatif. Il est crucial que l’ampleur de la petite différence de tension artérielle reste la même dans chaque cas. Dans ce cas, une différence peut être hautement significative (statistiquement), mais en termes pratiques, elle est extrêmement faible et donc effectivement insignifiante. Dans un essai à grande échelle, des effets hautement significatifs sont souvent cliniquement non pertinents. Plus important encore et contrairement à la croyance populaire, les résultats des grandes études sont moins importants pour un patient rationnel que ceux des études plus petites.

Les essais à grande échelle sont des méthodes efficaces pour détecter de petites différences. De plus, une fois que les chercheurs ont mené une étude pilote, ils peuvent effectuer un calcul de puissance pour s’assurer qu’ils incluent suffisamment de sujets pour obtenir un niveau élevé de signification. Ainsi, au cours des dernières décennies, les chercheurs ont étudié des groupes de plus en plus grands, ce qui a donné lieu à des études cent fois plus importantes que celles d’il y a seulement quelques décennies. Cela implique que les effets recherchés sont minimes, car des effets plus importants (capables d’offrir de réels avantages aux patients réels) pourraient plus facilement être trouvés avec des études plus petites et plus anciennes.

Les différences minimes, même si elles sont « très significatives », ne sont pas de quoi se vanter. Les chercheurs de l’EBM doivent donc rendre leurs résultats plus impressionnants. Ils le font en utilisant des valeurs relatives plutôt qu’absolues . Supposons qu’un médicament divise par deux votre risque de développer un cancer (une valeur relative). Bien que cela semble formidable, la réduction de 50 % rapportée peut réduire votre risque de seulement un sur dix mille : de deux sur dix mille (2/10 000) à un sur dix mille (1/10 000) (valeurs absolues). Un avantage aussi minime n’est généralement pas pertinent, mais exprimé en valeur relative, il semble important. (Par analogie, l’achat de deux billets de loterie double vos chances de gagner par rapport à l’achat d’un seul ; mais dans les deux cas, vos chances sont minuscules.)

L’erreur écologique

L’affirmation dangereuse implicite dans la méthode EBM selon laquelle les études à grande échelle constituent la meilleure preuve pour prendre des décisions concernant des patients individuels pose un autre problème. Cette affirmation est un exemple de l’erreur écologique, qui consiste à utiliser à tort des statistiques de groupe pour faire des prédictions sur des individus. Il n’y a pas d’autre solution que d’appliquer la méthode EBM à des patients individuels. En d’autres termes, elle n’a que peu d’utilité clinique directe. De plus, en règle générale, plus le groupe étudié est grand, moins les résultats seront utiles. Un patient rationnel ignorerait les résultats de la plupart des essais EBM parce qu’ils ne sont pas applicables.

Pour expliquer cela, supposons que nous mesurions la taille des pieds de chaque personne à New York et que nous calculions la valeur moyenne (taille totale des pieds/nombre de personnes). En utilisant ces informations, le gouvernement propose de donner à chacun une paire de chaussures de taille moyenne. Il est clair que ce serait imprudent : les chaussures seraient soit trop grandes, soit trop petites pour la plupart des gens. Les réponses individuelles aux traitements médicaux varient au moins autant que la taille des chaussures, mais malgré cela, l’EBM s’appuie sur des données agrégées. C’est techniquement faux ; les statistiques de groupe ne peuvent pas prédire la réponse d’un individu au traitement.

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L’EBM sélectionne les preuves

L’autre problème de l’approche EBM qui consiste à n’utiliser que les « meilleures preuves » est qu’elle réduit la quantité d’informations disponibles pour les médecins et les patients qui doivent prendre des décisions thérapeutiques importantes. Les preuves autorisées dans l’EBM sont constituées d’ essais à grande échelle sélectionnés et de méta-analyses qui tentent de rendre une conclusion plus significative en agrégeant les résultats de groupes très différents. Cela ne représente qu’un pourcentage infime de la totalité des preuves. La méta-analyse rejette la grande majorité des données disponibles, car elles ne répondent pas aux critères stricts de l’EBM. Cela entre en conflit avec un autre principe scientifique, celui de ne pas sélectionner ses données. Dans ce contexte, les étudiants en sciences qui sélectionnent les meilleures données, pour dessiner un graphique de leurs résultats, par exemple, seront pénalisés et invités à ne pas recommencer. ..

La médecine au service des gens, pas des statisticiens

Diagnostiquer des problèmes médicaux est un défi, car nous sommes tous biochimiquement différents. Comme l’explique le Dr Roger Williams, pionnier de la nutrition, à l’origine de ce concept : « La nutrition est destinée aux personnes réelles. Les humains statistiques n’intéressent pas grand-chose. » Les médecins doivent posséder suffisamment de connaissances et de diversité thérapeutique pour correspondre à la diversité biologique de leur population de patients. Le processus de classification des symptômes d’une personne particulière nécessite un autre type de statistiques (bayésiennes), ainsi que la reconnaissance de modèles. Ces dernières ont la capacité de prendre en compte le caractère unique de chaque individu.

L’approche fondamentale de la médecine doit être de traiter les patients comme des individus uniques, avec des problèmes distincts. Cela s’étend à la biochimie et à la génétique. Une forme efficace et scientifique de médecine appliquerait la reconnaissance des modèles plutôt que des statistiques régulières. Elle répondrait ainsi aux exigences d’un bon régulateur ; en d’autres termes, elle constituerait une approche efficace de la prévention et du traitement des maladies. Elle éviterait également les pièges, tels que l’erreur écologique.

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Bibliographie :

  1. « EBM. A new approach to teaching the practice of medicine » JAMA 1992; 268 : 2420
  2. « A comparison of observational studies and randomized, controlled trials » New England Journal of Medicine 2000; 342:1878-1886
  3. « Integrative Medicine and systemic outcomes research » Archive de médecine interne, Université d’Arizona 2002 / volume 162 – www.archinternmed.com
  4. « La naissance de l’EBM » Micheline FOURCADE Le Quotidien du médecin juin 2005
  5. « Les limites de l’EBM » M. BEAUFILS (hôpital Tenon, Paris)

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