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C’est un ver marin qui pourrait faciliter les greffes d’organes et améliorer les performances de certains athlètes.
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Comment un ver qui sommeillait dans le sable depuis 400 millions d’années a-t-il pu attirer l’attention du biologiste français Frank Zal?
Tout a commencé sur une petite plage de Bretagne, à Saint-Jean-du-Doigt. “Ce qui m’a intéressé, c’est d’essayer de comprendre l’adaptation des espèces dans leur milieu naturel. Et je me suis intéressé à un ver marin. Je me suis demandé comment il arrive à respirer dans l’eau et dans l’air”, nous explique avec un certain enthousiasme le chercheur français. “Je me suis focalisé sur le sang de cet animal, et en fait, chez ce ver, j’ai trouvé l’ancêtre de nos globules rouges. C’est une hémoglobine extracellulaire qui n’a pas de globules rouges, pas de typage sanguin, ce qui permet à l’arénicole d’arrêter de respirer quand il est à marée basse et vivre sur son stock d’oxygène [qu’il a stocké] quand il était sous l’eau”.
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Cette molécule marine est capable de transporter l’oxygène. Frank Zal va observer les marées pour comprendre comment fonctionne ce ver marin, baptisé Arenicola marina. “Quand vous voyez ici marée haute et marée basse, c’est exactement ce que vous retrouvez en médecine, ischémie, reperfusion. L’ischémie, c’est l’arénicole à marée basse; reperfusion, c’est l’arénicole à marée haute. Le ver a répondu à ces problèmes d’ischémie, et donc, on a démontré que cette molécule était capable de délivrer de l’oxygène dans un tas de pathologies où l’on a besoin d’oxygène sur la greffe d’organes, les maladies parodontales, la cicatrisation, la transfusion sanguine. En fait, cette molécule va répondre à énormément de pathologies dans le domaine médical”, explique le biologiste.
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Le ver peut transporter 40 à 50 fois plus de molécules d’oxygène. Autre caractéristique, l’hémoglobine est de petite taille, soit 250 fois plus petite que les globules rouges. En cas de blocage par les globules rouges, elle peut facilement se faufiler pour se rendre directement au greffon. Le greffon baigné dans cette hémoglobine naturelle maximiserait ses capacités de non-rejet. Fort du résultat de ses recherches, le docteur Zal, comme on le surnomme en France, va être convoqué par le club des globules rouges à Paris. Un rassemblement des plus grands experts français.
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“Donc, je me retrouve un samedi dans un amphithéâtre parisien avec que des médecins. Je commençais à parler de ma découverte et les personnes riaient au démarrage, et à la fin ils m’ont dit : « Docteur Zal, ce n’est pas possible, nous, on cherche ça depuis plus de quarante ans pour en faire un transporteur d’oxygène universel ». Là, je reviens dans mon laboratoire, pas très loin d’ici, à Roscoff, et là, on a vu comment cela marchait, et il y a des gens qui disaient qu’on pouvait sauver des vies. Et là, on me dit : « Toi, tu es scientifique, tu restes à ta place. Et s’il y a quelque chose, on le donnera à un industriel ». J’ai trouvé cela tellement frustrant de ne pas pouvoir développer cette molécule jusqu’au lit du patient que je décide à un moment donné dans ma vie de démissionner de mon ancienne vie, pour me lancer dans le développement d’une société qui s’appelle Hémarina.”
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Au lieu d’aller chercher ses vers sur la plage pour mener ses travaux, le biologiste crée en 2018 sa propre ferme d’élevage de vers arénicoles. Treize hectares au milieu des marais salants de Noirmoutier, en Bretagne. Sa capacité de production est estimée aujourd’hui à 30 tonnes de vers marins par an. Les travaux de Frank Zal vont faire le tour du monde et, surtout, fasciner le monde médical. On parle même de révolution dans le monde de la greffe d’organes. Au Centre hospitalier universitaire de Brest, le néphrologue Yannick Le Meur a utilisé la découverte de Frank Zal. Il a coordonné dans son service les premiers essais cliniques de cette molécule marine.
La première utilisation sera appliquée à la conservation d’organes. “Quand on va faire une transplantation, il faut d’abord prélever un greffon chez un donneur, ensuite, vous allez le conserver dans un liquide de conservation. […] Et cette période-là, entre le moment où le greffon est prélevé et le moment où il va être greffé, elle est fondamentale, elle est cruciale. Pourquoi? Parce qu’il ne reçoit plus de sang, il ne reçoit plus d’oxygène. Et donc, cette molécule, ce transporteur d’oxygène, tout naturellement, on a pensé la mettre dans le liquide de conservation, pour que, tout le temps de la conservation, passivement, elle libère de l’oxygène dans le milieu pour que l’organe puisse récupérer de l’oxygène, et on espère pouvoir préserver cet organe.”
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Ce manque d’oxygène est responsable de lésions au sein du greffon. Ce qui va avoir des conséquences une fois que l’on va greffer l’organe. La molécule marine va donc permettre de conserver le greffon plus longtemps et le maintenir dans un état de conservation optimal, comme l’explique le professeur Le Meur. Ce gain en temps sera bénéfique pour les équipes médicales qui auront à transplanter des organes fragiles comme le cœur et le poumon, précise le professeur Le Meur. “Prendre un petit peu plus de temps, mettre les équipes dans de meilleures conditions pour opérer et, effectivement, c’est aussi un deuxième enjeu.” Transporter un organe est donc une véritable course contre la montre. Chaque seconde compte. Là encore, l’hémoglobine marine est incroyablement efficace, car elle permet au greffon d’être maintenu plus longtemps en vie. Quand on sait que plus de 20 % des greffons meurent, c’est un extraordinaire progrès pour les malades en attente d’une greffe. Le néphrologue français pense que c’est là que se jouera l’avenir de la greffe.
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“Plus vous laissez l’organe dans le conteneur, plus il va prendre du temps à redémarrer. Donc, utiliser un transporteur d’oxygène va aider le greffon à redémarrer. Ces lésions initiales sont aussi responsables de la durée de vie du greffon, savoir combien d’années il va fonctionner. On sait qu’il y a un rapport entre la bonne conservation initiale et la survie à long terme du greffon. La période qui va durer plusieurs heures où il est dans le bocal, là, c’est crucial pour nous, et c’est probablement là que se joue une grande partie de l’avenir de la greffe.”
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Avec cette découverte, on peut maintenant imaginer de nombreuses applications, comme la préservation du greffon, la régénération osseuse ou, pourquoi pas, un sang universel. Quand on sait qu’il manque aujourd’hui 100 millions de litres de sang tous les ans pour satisfaire la population mondiale, on peut parler d’une avancée majeure et même de révolution, comme l’explique le professeur Yannick Le Meur.
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“Comme on dit dans le milieu scientifique, c’est une molécule de rupture, c’est-à-dire qu’il y aura un avant et un après. On n’y est pas encore, mais il y a des potentialités énormes pour cette molécule, du fait du mécanisme d’action qui est à la fois très simple, apporter de l’oxygène, ce qui est fondamental, car on ne peut pas vivre sans oxygène.”
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Au mois de septembre dernier, on a réalisé en Inde une première mondiale avec la molécule de la société Hémarina. On a réussi à reconstituer les deux avant-bras du patient, qui avaient été sectionnés lors d’un accident. Durant les nombreuses heures qu’a duré l’opération, les deux avant-bras ont baigné dans un liquide qui contenait la molécule. La molécule marine a donc permis aux greffons de ne pas subir de lésions et de redémarrer plus rapidement. On a également perfusé directement la molécule dans l’avant-bras, ce qui a accéléré la reprise de la motricité. Aujourd’hui, après seulement quelques mois, le patient indien a récupéré plus de 70 % de la motricité de ses membres.
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Si ce ver peut révolutionner le monde des greffes d’organes, il donnera des maux de tête aux agences antidopage. Pour certains spécialistes du dopage sportif, l’hémoglobine de ver marin serait déjà utilisée chez les sportifs de haut niveau.
“Il ne fait pour moi aucun doute que ces hémoglobines marines de ver animal seront utilisées ou ont déjà été utilisées. Ça ne fait aucun doute!”, nous déclare sans détour Marc Kluscinszyski, un expert en dopage sanguin. Ce spécialiste français publie régulièrement ses recherches dans le magazine Sport et Vie. Il a récemment constaté que l’utilisation de molécules animales aurait fait son apparition dans certaines compétitions sportives. “Elle a peut-être été utilisée dès les championnats du monde de ski de fond de Seefeld en 2019. Le réseau du docteur Mark Schmidt, qui opérait depuis 2001, a donc pu, malgré le passeport sanguin, vivre en toute quiétude pendant plusieurs années jusqu’en 2019, où il a été condamné pour avoir organisé un réseau de dopage sanguin.”
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“Les tests de détection, par exemple, pour l’hémoglobine de vers marins, l’Arenicola marina ou d’autres espèces de vers, ne permettent le contrôle que quelques heures. Par exemple, dans un grand tour comme le Tour de France, s’il n’est pas contrôlé de 23 h à 6 h, le dopage avec cette nouvelle hémoglobine animale soluble est entièrement possible. Elle est atoxique, immunogène, sa durée de vie est de 2,5 jours, mais surtout elle transporte 40 fois plus d’oxygène que l’hémoglobine humaine tout en étant 250 fois plus petite. Donc, on peut imaginer tout de suite que des microdoses suffiraient à faire la différence et seraient indétectables.”
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Au tout début de sa découverte, le biologiste Frank Zal a alerté l’Agence française de lutte contre le dopage. Il était bien conscient qu’un apport de 40 fois plus d’oxygène dans l’organisme pourrait être attrayant pour certains sportifs de haut niveau qui seraient tentés de prendre des raccourcis. “On ne va pas se le cacher, c’est un produit dopant, bien évidemment. Dès le démarrage, on le savait, car quand on apporte beaucoup plus d’oxygène, on a un métabolisme beaucoup plus poussé; donc, dès le démarrage, on a travaillé avec l’Association française de lutte contre le dopage. On leur a donné notre produit pour qu’ils mettent en place des tests. Il y a toujours un côté de la pièce, il y a celui positif, c’est de sauver des gens, et il y a le côté négatif, c’est d’utiliser cette technologie pour d’autres buts. Mais cela, ce n’est pas la faute de la science, en fait. La science, elle veut juste découvrir, décrire…”
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Extrait du reportage de Robert Frosi et de Sylvain Caron est diffusé à l’émission Découverte dimanche à 18 h 30 sur ICI Radio-Canada Télé.
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