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Avec 10 milliards d’individus sur terre vers 2050, il est clait que tout le monde ne pourra pas manger de la viande … Les « protéines de remplacement » sont au coeur de nombreuses recherches :

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Question : Parmi les enjeux liés à l’alimentation, on s’accorde à dire qu’il faut faire plus de place au végétal, qu’en pensez-vous ?

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Michel Bras : C’est vrai, et ça me rassure en quelque sorte, car j’ai mis en valeur le végétal de bonne heure. Dès 1978, j’ai proposé dans mon restaurant un menu autour des légumes. Au départ, je n’en vendais que trois par semaine, ce qui se comprend dans un pays habité par l’élevage.

En remontant plus loin, le végétal est associé à mon enfance, quand je gambadais déjà dans l’Aubrac. Lorsque je rencontrais une mûre sauvage qui irradiait de soleil, quand je goûtais l’ail des ours, la petite oseille, la fleur de reine-des-prés, j’étais interpellé… Le végétal, c’est toute mon histoire.

Pourtant, à mes débuts, la pâtisserie m’intéressait davantage, parce que je pouvais jouer au petit chimiste, mais en devenant cuisinier, de façon autodidacte, je me suis rendu compte que le végétal offrait un panel d’expressions beaucoup plus étendu. Et les voyages que j’ai pu faire avec mon épouse, par exemple en Inde, où les légumes occupent une place considérable, m’ont renforcé dans cette idée.

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Question : Si vous vous êtes porté très tôt vers le végétal, ce n’est pas le cas de tous vos confrères ni même de tout un chacun qui cuisine au quotidien…

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Les choses changent et nous allons même ouvrir un restaurant à Paris centré sur la graine et la céréale. Aujourd’hui le végétal a indéniablement retrouvé une place prépondérante en cuisine, ce qui est bon pour la planète aussi, après longtemps avoir été le parent pauvre, relégué au rang de simple garniture d’un plat sous la forme d’une pomme de terre vapeur ou d’une carotte posée sur le rebord de l’assiette. C’était triste…

Cependant, attention aux excès, par exemple le véganisme. Sans polémiquer, je prône une nourriture équilibrée, diversifiée, animale et végétale. C’est enrichissant autant au niveau de l’expression culinaire que de la santé. Je cite souvent une phrase prêtée au philosophe grec Hippocrate : « Que ton aliment soit ton médicament. » En un mot, une nourriture travaillée avec bon sens, sans trop de gras, à la juste cuisson, n’a que des atouts.

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Question : Qu’en est-il au niveau des producteurs ?

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Quand je faisais mes premiers marchés, à Rodez il y a quarante ans, la qualité des produits n’était pas extraordinaire. Le maître mot était la productivité. Mais on assiste à une prise de conscience des agriculteurs qui désormais privilégient de plus en plus la qualité et se tournent vers la permaculture, l’agroécologie, l’agroforesterie… Dans ce domaine, je rencontre maintenant des gens passionnés. Dans la vallée du Lot, une terre vraiment propice au maraîchage, cette activité s’était estompée avec le temps. Et, depuis quelques années, beaucoup de jeunes viennent s’y installer, cultiver les terres et sans doute rechercher une autre qualité de vie. D’ailleurs, certains ont parfois lâché des métiers « prestigieux » et préfèrent à présent biner pour trois fois rien ! Le mouvement est général, et il a en plus l’avantage de renforcer la dimension locale des approvisionnements, ce qui diminue donc les flux de matières à plus grande échelle, et donc l’empreinte carbone de nos assiettes.

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Les éleveurs ont aussi évolué. J’ai toujours voulu vendre mon pays et offrir une viande d’Aubrac, et, il y a près de quarante ans, il fallait avoir la foi, car les bêtes étaient mal engraissées, la viande était dure, pas persillée ! On faisait face aux clients en leur vantant un morceau de bœuf issu des prairies voisines, avec une certaine mâche… On se défendait comme on pouvait !

La situation n’est plus du tout la même. Les agriculteurs se sont emparés du sujet et produisent des bêtes mieux finies, avec une viande de bonne qualité. Le travail accompli a été énorme, encouragé par de nombreux labels et diverses mesures visant à privilégier la qualité par rapport à la quantité.

Ce qui est vrai des cultivateurs et des éleveurs vaut pour toute la chaîne alimentaire. Par exemple, les boulangers ont aussi fait beaucoup de progrès. Aujourd’hui, une belle baguette, un bon beurre acheté chez Terroirs d’Avenir et quelques pousses de radis dessus suffisent à me contenter.

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Question : Et tout le monde profite de ces améliorations ?

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Oui, et j’ajouterai que cette qualité arrive au bon moment. Je le vois au quotidien dans mon entourage, avec la crise du Covid-19, les gens ont réappris à cuisiner, à découvrir des produits… pour lutter contre cette solitude qui pèse. L’idée de partage, qui avait un peu déserté nos cuisines du quotidien, fait un retour en force et l’on retrouve le plaisir de se réunir autour d’une table pour un gratin dauphinois, un pot-au-feu, avec une belle bouteille. Même en famille et en cercle restreint, mesures sanitaires obligent, cette chaleur humaine qui s’était estompée est ravivée, l’aspect social de l’alimentation est de nouveau recherché. Le virage avait certes été pris avant l’apparition du nouveau coronavirus, mais je pense que la pandémie l’a accentué. Espérons que la tendance se poursuivra après.

C’est vraiment dans l’air du temps, peut-être grâce aux médias et à ces émissions de télévision. Les gens ont réappris à cuisiner et culpabilisent moins. Ils n’hésitent plus à recevoir autour d’un plat unique, sans esbroufe, sans se mettre la barre trop haut.

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Question : Un autre enjeu important lié à l’alimentation concerne le gras et les lipides sur lesquels le regard a évolué : diabolisés, ils connaissent un retour en grâce. Quel est votre avis là-dessus ?

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Votre question me fait penser à un ami qui, il y a quarante ans, me demandait des saucissons sans gras. Mais ça n’existe pas !

Plus sérieusement, je me rappelle une époque où toutes les sauces étaient montées avec des montagnes de beurre, dans un rapport de deux tiers : imaginez le taux de matière grasse ! Dans le même temps, on avait banni un simple jus de poulet juste perlé avec le gras rendu par la peau de la volaille. Pourtant, ces gouttes de gras, ces « perles de saveur » selon un terme que j’ai trouvé dans un vieux livre, apportent beaucoup de goût. Heureusement, les positions se sont inversées, et l’on mange dorénavant moins gras.

Cependant, sans être ni médecin ni diététicien, je crois qu’un apport de lipides, avec juste raison, ne peut pas nuire. Plus encore, il y a de bon gras dont on a besoin. Tous mes plats en contiennent un peu. Et chez moi, nous mangeons beaucoup de végétaux, sauf que le dimanche, avec mon épouse, notre plat de prédilection, c’est un onglet ou une belle bavette avec des frites. Et ce caractère d’exception ne fait que rendre encore meilleur ce repas !

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Question : On assiste à un retour de variétés ou d’espèces anciennes, oubliées ou venues d’ailleurs. Qu’est-ce que ce phénomène vous inspire ?

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De nos voyages, nous avons rapporté beaucoup d’espèces que nous avons acclimatées dans notre jardin, où poussent près de deux cents variétés d’aromatiques, comme du papalo (Porophyllum ruderale) d’Amérique du Sud ou du rau ram (Polygonum odoratum) du Vietnam. Ce dernier, dont le parfum très prononcé évoque la coriandre, la citronnelle, le poivre… a des feuilles dont la structure ressemble à celles de plantes que l’on retrouve au bord de nos ruisseaux et que les anciens appelaient pico lingo c’est-à-dire « pique la langue ». Par-delà les continents, ces parallèles entre plantes m’étonnent beaucoup.

Quant à l’engouement dont vous parlez, mon premier réflexe est de penser qu’il n’est pas sans risque. C’est le cas du quinoa. La graine de cette pseudocéréale constituait la nourriture du quotidien des peuples d’altitude en Bolivie, au Pérou et en Équateur. La découverte de ses vertus nutritionnelles en a fait une star à travers le monde, la demande a explosé et les prix ont augmenté déraisonnablement. Conséquence, d’abord les paysans de l’altiplano n’ont plus les moyens d’acheter leur aliment traditionnel, destiné en priorité à l’exportation. Ensuite, l’agriculture vivrière est négligée. Enfin, la monoculture appauvrit les sols et favorise les ravageurs et l’érosion.

Ce type de scénario a aussi eu lieu dans plusieurs pays d’Afrique, où tout ce qui relevait de l’agriculture de subsistance a été remplacé par des cultures dédiées à l’exportation. Sur ce continent, la résistance s’organise avec par exemple le projet 10 000 jardins potagers en Afrique, porté par mouvement Slow Food, fondé en Italie en 1986 par Carlo Petrini afin de promouvoir une alimentation bonne, propre et juste. L’objectif du projet, né en 2010, est de favoriser une agriculture capable de nourrir les communautés en respectant le territoire, son équilibre écologique, les cultures et l’histoire locales, en utilisant les variétés traditionnelles… Nombre de ces jardins s’appuient sur des écoles où les enfants sont très impliqués.

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Question : Les variétés anciennes ont donc quand même quelques avantages ?

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Oui, bien sûr, notamment en termes de diversité de l’offre. C’est mieux d’avoir le choix, et, encore aujourd’hui, je découvre de nouvelles variétés, comme récemment avec des agrumes et même une aubergine, alors que je pensais être au parfum !

Et puis j’adore une pomme de terre que les anciens employaient pour faire l’aligot, la variété institut de Beauvais. Pauvre en amidon, il n’y a rien de mieux pour une purée, même si celle d’un cuisinier célèbre faite à partir de rates est aussi très bonne… Cette variété a été créée à la fin du xixe siècle à l’institut agricole de Beauvais, dont elle tire son nom. Ce serait l’une des plus anciennes encore inscrites au catalogue officiel ! J’en avais trouvé la trace dans un livre du début du xxe siècle, 1924 je crois, consacré à une soixantaine de variétés, ce qui sur le plan national est déjà pas mal. Évidemment, on est loin des 3 000 variétés du Pérou, berceau de la pomme de terre.

À une époque, l’institut de Beauvais avait disparu. De fait, avec ses nombreux « yeux » profonds, elle n’avait pas la pluche facile. Et puis, elle a été retravaillée par les sélectionneurs, et a refait son apparition sur les étals. Elle a gardé son allure, ses bulbes assez gros, mais les yeux sont moins nombreux…

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Question : Les questions liées à l’alimentation seraient plus faciles à résoudre avec une meilleure éducation au goût. Comment faire pour l’améliorer ?

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Comme avec les potagers en Afrique, tout commence à l’école et dans les cantines. Et la tâche est énorme ! J’ai pu m’en rendre compte quand j’ai fait du conseil en agroalimentaire et notamment pour le milieu scolaire. On veut y encourager le végétal, sans rien faire pour que les légumes soient assaisonnés correctement, soient goûteux… Une des clés est le budget alloué : comment faire du merveilleux avec trois fois rien ? Comment préparer deux repas de qualité avec un seul euro ? Les municipalités doivent en avoir conscience, et je crois que c’est de plus en plus le cas.

Une autre piste pour initier les enfants aux bonnes pratiques alimentaires est l’aspect ludique. Ils apprécieront d’autant plus un plat, même inhabituel, qu’ils connaîtront les histoires parfois extraordinaires qui se cachent derrière.

La dimension sociale dont nous parlions doit également être renforcée, particulièrement auprès des personnes âgées dans les Ehpad, un domaine dans lequel je me suis beaucoup investi. Dans ces établissements, j’ai prôné la réintégration de certains produits qui selon moi manquaient, comme le fromage. Et, surtout, j’ai encouragé cette notion de partage, de convivialité à table. Dans le cadre du service, on ne doit pas se contenter de verser une louche de potage, on doit aussi demander au pensionnaire s’il veut du fromage râpé, en quelle quantité… En faisant ainsi, je l’ai vu, des regards se croisent, des échanges se font, et ça suffit à apporter un peu de bonheur. N’oublions pas que dans les Ehpad, le grand moment de la journée, c’est justement le repas.

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Question : Les médias grand public ne peuvent-ils pas eux aussi contribuer ?

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J’aimerais voir une émission télévisée où des chefs livreraient les quelques gestes techniques, les quelques astuces nécessaires pour que tout le monde puisse s’approprier au quotidien la cuisine. Elle est souvent sur un piédestal, mais avec un peu d’imagination, on arrive à traduire de belles gourmandises avec peu de choses. On apprendrait aussi à ne pas gaspiller. Les cuisiniers ont un rôle important à jouer pour améliorer l’alimentation. Ce serait à la fois bon pour la santé humaine et pour la planète, ce qui est plutôt bien, non ?

Alors, à quand une émission de « Top Chef » consacrée aux épluchures ?

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Bel article de réflexion, extrait de la revue « Pour la Science » 2021 (hors série : les défis de l’alimentation).

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